Le Flashback 125 BN de ce mois-ci porte sur la communauté avant-gardiste du « Monte Verità », qui avait pour ambition de tourner le dos au capitalisme et au communisme en proposant une troisième voie fondée sur la spiritualité et censée mener à la découverte de soi.
Le « Monte Verità » a l’âge de la Bibliothèque nationale. Pour l’un comme pour l’autre, le temps était venu de naître. Nous sommes ouverts à tous. Tout le monde cherche quelque chose de différent chez nous. Chacun voit en nous quelque chose de différent.Nous sommes un aimant qui attire les gens. Certains veulent travailler ou faire une cure sans être dérangés, d’autres veulent trouver leur bonheur. Certains recherchent des sources pour construire des utopies et des histoires, d’autres des statistiques et des chiffres. Il y a ceux qui ne viennent que pour prendre un café ou un repas, et ceux qui veulent « partager » leur point de vue. D’autres encore veulent voir ou être vus.D’un point de vue architectural, nous deux, la bibliothèque nationale et l’hôtel du Monte Verità, nous sommes assez semblables, conçus sous le signe de la construction nouvelle et du Bauhaus. Nous offrons un espace qui permet d’élargir les horizons. Nous sommes ouverts à différents systèmes de valeurs. Nous offrons de la lumière et de la chaleur.
Champ d’expérimentation libre
Le Monte Verità a ceci de différent qu’il s’inscrit dans la ruralité. La communauté du Monte Verità prône un retour à la nature. On y vit hors du système, sans drogue et en mangeant végétalien. Le Monte Verità est un melting-pot international, on y trouve de tout : théosophes, illuminés, anarchistes, national-socialistes, danseurs, eurythmistes, jardinières et jardiniers, amateurs de bains d’air, adeptes de l’amour libre, artistes, bohémiens, écrivains, mécènes, prédicateurs, psychologues, esprits politiquement éveillés, féministes éclairées, réformateurs de l’orthographe, réfugiés de guerre, révolutionnaires persécutés, dadaïstes, colonialistes, aristocrates, hommes vénaux et partisans du retour à la vie saine. L’essentiel est que tu te réalises. Si tu te réalises, tu es libre et le monde devient un monde meilleur.
Beaucoup de choses ont déjà été dites et faites au sujet du Monte Verità.Au début, il y avait l’appel du sud paradisiaque et du soleil. Le terrain était aplani : Bakounine était à Minusio depuis 1873 avec son entourage anarchiste. Au départ, argent et esprit faisaient bon ménage, une alliance incarnée par le très mondain Henri Oedenkoven, fils d’un industriel belge, et la musicienne féministe Ida Hofmann, ainsi que par Karl Gräser qui, avec son frère Gusto, préconisait un retour au christianisme originel. Les fondatrices et les fondateurs s’étaient rencontrés en Autriche dans la clinique naturopathique d’Arnold Rikli, un médecin suisse qui louait les vertus thérapeutiques des bains de soleil.Aujourd’hui, le Monte Verità et les idées qui y sont cultivées suscitent un mélange d’attirance et de répulsion et ne laissent en tout cas pas indifférent. Le Monte Verità est un phénomène aristocratique, une révolution par le haut. Les idées d’Ida Hofmann sur l’égalité des droits entre femmes et hommes étaient résolument novatrices. Le corps humain a été libéré du corset qui l’enserrait. On lui a donné de l’espace et de l’air, ce qui s’est traduit également par une réforme vestimentaire.
Les idées prônant une vie saine, une alimentation végétalienne, une vie sans drogue mais également la luminothérapie, le mouvement, la danse, la réalisation de soi étaient résolument novatrices.
Intéressantes aussi étaient les idées politiques non conventionnelles et non conformistes qui inventaient de nouveaux modèles de vivre ensemble, y compris le concubinage. C’est dans ce creuset qu’allait s’opérer la transformation de la société.
Le changement passait également par une réforme de l’orthographe, l’idée étant qu’il faut écrire comme on parle.Le Monte Verità a attiré une population progressiste et internationale, notamment à la Casa Gabriella, où Olga Fröbe-Kapteyn a créé le centre C. G. Jung et organisé ses conférences Eranos, ou au sanctuaire Elisarion, où était exposé le tableau homoérotique « La Ronde des bienheureux » d’Elisar von Kuppfer.
Le Monte Verità exerçait une fascination sur les artistes de tous les pays, qui pouvaient s’y épanouir librement loin de toute censure.
Finalement, des objectifs incompatibles, par exemple prêcher une vie simple et commencer par installer le chauffage dans la Casa Anatta, s’extasier sur l’autosuffisance tout en grignotant des noix du Brésil, s’efforcer de créer une société anticonformiste en faisant de l’argent sur le dos des pensionnaires auront raison du projet du couple fondateur. Après la vente lucrative de la propriété du Monte Verità, les Oedenkoven émigrent au Brésil avec l’intention d’y recréer une communauté authentique. Aujourd'hui, les produits végétaliens se trouvent dans les rayons des grandes surfaces – la troisième voie s’est établie, de nombreuses idées innovantes de l’époque sont devenues compatibles avec le système et le marché.
Du rejet à l’établissement
Le Monte Verità a fait couler beaucoup d’encre dans la presse quotidienne, tout le monde y va de son commentaire : pensionnaires, journalistes, policiers. En 1907, le « Nouvelliste Valaisan » décrit Henri Oedenkoven comme le « fondateur [d’une] étrange secte » et l’incriminé n’aura dès lors de cesse de se distancier des groupements les plus radicaux installés dans la communauté. Dès qu’un meurtre ou un acte criminel est commis dans la région, le nom du Monte Verità est mentionné. Diffamé au moment de sa création, le Monte Verità sera ensuite pendant des années l’objet de conjectures entourant la vente de la propriété. Le banquier et mécène Eduard von der Heydt, baron de son état, acquiert le domaine en 1926. En 1948, un tribunal militaire suisse l’acquitte des charges d’espionnage qui pesaient sur lui. Reste que des institutions telles que le musée Rietberg, auquel le baron fit d’importantes donations, ainsi que des experts d’autres musées, se sont longtemps penchés sur le rôle joué par von der Heydt durant la Seconde Guerre mondiale (cf. : colloque du Musée de Wuppertal, 23 et 24 octobre 2015). Eduard von der Heydt a légué le Monte Verità au canton du Tessin.Entre les années 1950 et 1990, le canton, en collaboration avec l’EPFZ, fait du Monte Verità un centre de séminaires. En 1978, Harald Szeemann a ancré les idées visionnaires du lieu dans la mémoire de la Suisse avec son exposition itinérante « Monte Verità : le mammelle della verità ». Aujourd'hui, l’hôtel, le centre de congrès, les manifestations, les expositions et la maison du thé sont gérés par la Fondazione Monte Verità.
Le Monte Monescia, cette colline verte sur laquelle personne ne voulait vivre jadis, est depuis la fin du 19e siècle un lieu de projection et un espace de réflexion pour des esprits en quête d’expériences en tous genres.
- Andreas Schwab: Monte Verità, in: DHS online
- Archives littéraires suisses (ALS) : Archiv Hannes Binder
- Fondazione Monte Verità: Site officiel en italien
- Antologia di cronaca del Monte Verità. Scritti di Luigi Antonini e Angelo Nessi ed al. Locarno: R. Rezzonico 1992
- Mara Folini: Der Monte Verità von Ascona. Bern: Gesellschaft für Schweizerische Kunstgeschichte GSK, 2013. (Schweizerische Kunstführer ; 939-940)
- Harald Szeeman: Monte Verità: Berg der Wahrheit Monte. Lokale Anthropologie als Beitrag zur Wiederentdeckung einer neuzeitlichen sakralen Topographie [Ausstellung im Kunsthaus Zürich, 17. November 1978-28. Januar 1979]. Milano: Electa Editrice; Locarno: A. Dadò, 1978
- Andreas Schwab: Monte Verità – Sanatorium der Sehnsucht. Zürich: Orell Füssli, 2003
- Stefan Bollmann: Monte Verità. 1900 - der Traum vom alternativen Leben beginnt. München: Pantheon, April 2019
- Monte Verità: Utopien und Dämonen. Zürich: Du-Kulturmedien 2014
- Retour à la nature – un idéal de vie saine. Exposition 13.2.2020–16.8.2021, Musée d’histoire de Berne
- Wuppertaler Museum Symposium 23. und 24. Oktober 2015 zum Thema «Weltkunst»
Dernière modification 29.07.2020
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