Eugène Rambert et Émile Javelle: entre écriture et alpinisme

À la fois source d’inspiration et d’émerveillement, la montagne a tenu une place centrale dans l’amitié qui unissait Eugène Rambert et Émile Javelle, ainsi que dans leurs écrits respectifs.

Par Sarah Bergamo

Intellectuel vaudois et figure emblématique de la poésie en Suisse romande au XIXe siècle, Eugène Rambert se découvrit une passion pour la montagne dès l’âge de onze ans, lorsqu’il fut atteint de céphalées sévères. Afin de les soulager, il se rendit à Rossinières pour y passer ses étés durant trois années consécutives. Dans le carnet reproduit ci-contre et daté de la fin des années 1840, le jeune poète a réalisé plusieurs croquis inspirés de paysages alpins et recueilli ses impressions lors d’une randonnée entre Bex et le Val de Bagnes: «la vallée est t[ou]t le long très pittoresque, au dessus du pont de Malvoisin on commence a voir le gl[acier] de Giétroz». S’émerveiller des paysages et s’en inspirer est au cœur de la création littéraire d’Eugène Rambert: ses poésies et notes prises à la volée au cours de ses escapades sont à l’origine d’une grande partie de son œuvre, dont les cinq volumes des «Alpes suisses» (1866–1875), compilation de textes relatifs au monde alpestre. Il ne fut d’ailleurs pas le seul à allier ces deux exercices – écriture et ascensions: son ami et disciple Émile Javelle (1847–1883), un alpiniste français installé à Vevey, en fit de même.

Rambert
Un manuscrit autographe «La Dent du Midi» et un cahier de croquis et de notes d’Eugène Rambert datant de la fin des années 1840; une lettre autographe de Javelle à Rambert, du 11 janvier 1876 (photo: BN, Simon Schmid)

Fervent lecteur du poète vaudois, Javelle choisit ses futures courses en montagne en se laissant guider par les récits de son aîné, notamment par celui intitulé «La Dent du midi», publié dans la deuxième série des «Alpes suisses» (1866). Leur correspondance débute par une lettre de l’alpiniste français, datée du 17 mars 1869, dans laquelle il avoue à Rambert qu’un jeune homme, lui-même, l’admire, «je dirai plus, […] vous aime […]. Sur vos pas et grâce à vous, Monsieur, il [Javelle] a suivi le vallon du Bois-Noir et à peu près fait l’ascension de la Cime de l’Est; il a souvent visité Salanfe et relit sans cesse les pages que vous avez consacrées à ce site charmant.» Cette littérature alpestre, si caractéristique de Rambert, initia Javelle à l’alpinisme en région vaudoise et valaisanne: il réalisa un exploit en gravissant le Cervin en 1870 (cinq ans après la première ascension par Whymper), puis en moins de dix ans, il atteignit les plus hauts sommets valaisans – tels que le Rothorn de Zinal et la Dent Blanche – et fit découvrir le massif du Trient aux alpinistes, notamment en favorisant la construction de la cabane d’Orny.

Comme Rambert, Javelle prit de nombreuses notes (accompagnées de croquis) lors de ses ascensions et en publia les récits dans la «Bibliothèque Universelle» ou l’ «Écho des Alpes». Dès les débuts de leur correspondance s’instaura une relation maître-élève, puis amicale. Javelle lui communiquait nombre de ses textes afin d’obtenir les appréciations de Rambert, une tâche que le poète accomplissait avec bienveillance: «Votre récit laisse une première impression toute favorable. C’est plein de fraîcheur, de jeunesse, de poésie, et les mots heureux y abondent. […] L’impression centrale de votre récit est une sorte de passion pour la Dent du Midi, passion exclusive, absorbante […]. Cette impression fait l’unité et l’originalité du morceau. Il n’en faut pas davantage pour le distinguer de la plupart des récits de course, dont la monotonie nous fatigue.» (26.04.1870)

Nombreux furent les sujets abordés par les deux hommes dans leurs échanges épistolaires (la philosophie, la littérature, l’alpinisme, ou encore le Club alpin suisse auquel ils appartinrent tous deux) et ce, jusqu’au décès de Javelle en avril 1883 des suites d’une tuberculose. Leur amitié et intérêts communs se trouvèrent liés une dernière fois en 1886, lorsque Rambert publia une notice littéraire et biographique dans l’ouvrage «Souvenirs d’un alpiniste par E. Javelle», un ouvrage qui fut l’un des derniers du poète avant sa mort en novembre 1886.

Eugène Rambert (1830–1886) était professeur de littérature française à l’Académie de Lausanne (de 1855 à 1860, puis de 1881 à 1886) et à l’École Polytechnique de Zurich (de 1860 à 1881). À la fois poète, nouvelliste, critique littéraire, il s’est beaucoup intéressé aux écrivaines et écrivains suisses de son époque, notamment dans son étude «Écrivains nationaux» (1874). On lui doit également le recueil «Les Gruyériennes» publié à titre posthume en 1888.

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Dernière modification 19.02.2024

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