En 1904 est publiée la «Bibliographie Rabelaisienne» décrivant les éditions des textes de François Rabelais de 1532 à 1711. Le dossier préparatoire à la publication de cet ouvrage se trouve dans le Fonds Pierre-Paul Plan.
Par Laurane Crettenand
Ce volumineux dossier est conservé dans une reliure en parchemin ainsi intitulée : Heineccii opera omnia, Tom.II. Mais à l’intérieur, nulle trace de Johann Gottlieb Heineccius, dont l’Opera Omnia fut publié dès 1771. En revanche, environ 300 feuillets sont insérés (sans être collés ou cousus), et tous ont en commun un écrivain : François Rabelais.

Notes de lecture manuscrites, fiches bibliographiques, citations, coupures de presse, extraits de correspondances, récépissés et textes autographes composent cet objet singulier. Ces centaines de documents constituent le dossier préparatoire à l’édition de la «Bibliographie Rabelaisienne», publiée par Pierre-Paul Plan en 1904.
Pierre-Paul Plan (1870-1951) est issu d’une famille lettrée : son père était rédacteur pour de nombreux journaux suisses et sa mère adapta pour le jeune public l’«Odyssée» en 1875, puis l’«Iliade» en 1878.En 1891, la carrière de journaliste de Plan le fait quitter la Suisse. Il rejoint le «Mercure de France» et collabore avec les périodiques parisiens «Le Journal des débats» et «Le Temps». Vivre en France lui permet de côtoyer Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine et Guillaume Apollinaire. Une photographie du tournant du siècle le montre chez Rodin, lors d’un concert de la claveciniste polonaise Wanda Landowska dans la demeure du sculpteur à Meudon.
Touche-à-tout, Plan mène de front une carrière de traducteur, de critique littéraire, d’historien et d’éditeur. Il traduit «Una donna» (1906) et «Il Passagio» (1919), deux œuvres de l’écrivaine italienne Sibilla Aleramo (1876-1960). De 1924 à 1934, il édite la «Correspondance Générale de J.-J. Rousseau». Il s’intéresse aussi à Racine, La Fontaine, Molière et Corneille. À l’aube du XXe siècle, c’est vers le XVIe et la figure de Rabelais qu’il se tourne.
Concernant sa «Bibliographie Rabelaisienne», Plan écrit dans sa «Note au lecteur» : «Mon intention première était, ambitieusement, d’établir une bibliographie générale qui eût décrit non seulement les éditions anciennes, mais aussi les modernes, et les ouvrages divers auxquels le nom et l’œuvre du maître François ont donné lieu.» Plan souhaite ainsi dans un premier temps réaliser une bibliographie qui regrouperait les éditions de Rabelais, datées du XVIe au début du XXe siècle. Ce dessein s’inscrit dans son désir de combler les inexactitudes et les manques présents selon lui dans les «Recherches bibliographiques et critiques sur Rabelais», publiées en 1852 par Jacques Charles Brunet.
En 1902, Plan prend connaissance de plusieurs documents inédits et compilés par Charles Marty-Laveaux (1823-1899), qu’il présente comme «le regretté savant à qui l’on doit la dernière et la meilleure édition de Rabelais». La majeure partie du travail de Marty-Laveaux est consacrée aux éditions des œuvres et aux critiques de Rabelais jusqu’à la fin du XIXe siècle. L’examen des documents de cet érudit entraîne Plan à modifier son approche. Dès lors, il décide d’exclure de sa «Bibliographie» les éditions des ouvrages rabelaisiens postérieures à 1711 et conçoit un projet supplémentaire : celui de «publier plus tard, sous le nom de leur auteur, et après les avoir augmentés et mis au point de [s]on mieux, les matériaux laissés par M. Ch. Marty Laveaux.» En 1904, Plan publie alors la «Bibliographie Rabelaisienne» qui se concentre sur les éditions des œuvres et des ouvrages relatifs à Rabelais de 1532 à 1711.
Parmi les centaines de feuillets contenus dans ce dossier à la reliure de parchemin, figure en outre un hommage dactylographié de l’École des Chartes à Charles Marty-Laveaux. Pourquoi avoir conservé ce document au sein des brouillons bibliographiques ? Plan avait de fait un véritable intérêt pour ce grand rabelaisien ; de plus, l’hommage des Chartistes témoignait pour lui de la reconnaissance de Marty-Laveaux par ses pairs, autant pour sa passion du XVIe siècle que pour l’attention qu’il a portée à l’édition de Rabelais.
Le dernier feuillet du dossier préparatoire est un brouillon de lettre, daté de 1902 et adressé à Madame Marty-Laveaux, veuve de l’érudit. Dans ce court message, Plan regrette que la «Bibliographie» de Rabelais, établie par Marty-Laveaux, ne paraîtra pas en entier dans l’édition d’Alphonse Lemerre. Il lui annonce également qu’il rédige une «Bibliographie Rabelaisienne» et lui propose une rencontre afin qu’il puisse compléter les «nombreuses notes inachevées».
Plan décède en 1951 sans avoir publié les matériaux laissés par Marty-Laveaux. Demeurent alors sa «Bibliographie Rabelaisienne» de 1904 et avec elle, cet objet curieux, témoin du travail et des ambitions du bibliographe.
Dernière modification 30.04.2025