Durant près de 25 ans, Daniel de Roulet a publié dix romans qui explorent le thème de l’énergie nucléaire civile et militaire. Depuis 2014, une publication numérique offre aux lectrices et aux lecteurs des parcours inédits dans cette immense fresque.
De Vincent Yersin
Qu’est-ce qu’un métaroman ? Comment rencontrer Robert Oppenheimer, Wolfgang Pauli, Andreï Sakharov ou Lise Meitner et suivre, sur plus de 70 ans et trois continents, deux familles, dont les destins se lient à histoire du nucléaire : d’Hiroshima à Fukushima, via Creys-Malville, Los Alamos, Three Mile Island et… Lucens, en passant par les barricades de 68 et le marathon de New York ?
© Simon Schmid (BN)
Ces thématiques, et leurs enjeux, sont soulevées par la saga au titre balzacien publiée par Daniel de Roulet entre 1993 et 2014, La Simulation humaine : « il s’agit de 10 romans dont chacun peut être lu séparément et dans n’importe quel ordre et qui, de plus, ont été publiés dans un ordre qui n’est pas du tout chronologique. À la fin, ils peuvent être rassemblés chronologiquement, pour constituer une histoire, un cycle romanesque, un roman-fleuve. » Dans les archives, et considéré comme un tout, ce projet se matérialise par un nombre conséquent de documents. Sans compter la soixantaine de « grands cahiers », laboratoires d’écriture contenant des ébauches, des plans, des brouillons et des notes – mais qui ne sont pas exclusivement consacrés à ce cycle romanesque – on compte, entre Virtuellement vôtre et Le démantèlement du cœur, pas moins de 439 versions successives de ces 10 romans et une vingtaine de tentatives de les ordonner au sein d’un ensemble unique. « J’ai travaillé dans l’informatique […] et je me suis rendu compte à quel point les archives numériques sont volatiles […] la seule chose qui tient dans le temps, c’est le papier. […] chez moi, au lieu d’une corbeille à papier, j’ai une corbeille à archives. Cela me permet aussi, car je ne suis pas un écrivain si sûr de lui, de retourner à des versions antérieures. »
Courant sur presque un quart de siècle, un tel processus d’écriture ne va pas sans aléas et hasards, parfois malheureux. Il en est allé ainsi de Fusion, volumineux roman dont l’action se déroule dans deux immeubles de la City, soumis à l’éditeur, et refusé, le 11 septembre 2001 : « Cela a été très dur pour moi […] j’ai eu l’impression que c’était mon meilleur livre et personne n’en voulait, car on ne pouvait plus raconter l’histoire de deux tours de la même manière. J’ai donc tout récrit plusieurs fois et dans tous les sens. » Le livre verra bien le jour, sous le titre de Fusions, 11 ans plus tard, chez un autre éditeur…
Comme la publication de ce cycle s’étend sur un temps très long, passe par trois maisons d’édition différentes et implique une chronologie non linéaire, saisir la cohérence générale du projet n’allait pas forcément de soi. Daniel de Roulet s’est alors mis en relation avec l’EPFL, et dans le cadre de la thèse de Cyril Bornet au Laboratoire d’humanités digitales, une version numérique de la saga a vu le jour en 2014 (www.simulationhumaine.com). Celle-ci permet de parcourir les textes, en déterminant le temps de lecture dont on dispose, et de découvrir un chapitre, une nouvelle, un roman ou l’intégralité de l’ensemble (environ cinquante heures de lecture). Tout cela gratuitement. Notons encore que les archives concernant cette mise en valeur numérique ne sont pas (encore) aux ALS : à celles que nous comptions précédemment, de nombreuses pièces pourraient venir s’ajouter…
Par son contenu autant que par sa diffusion, La Simulation humaine inscrit la littérature au cœur du réel : « Pour un auteur, ne pas se confronter à la technicité du monde, c’est renier une partie de sa mission, pour employer un grand mot. »
Daniel de Roulet est né en 1944 à Genève Son œuvre se compose de plus de 30 ouvrages : romans, essais et textes autobiographiques. Son dernier livre, La Suisse de travers, une étonnante promenade littéraire, a paru cette année aux éditions Héros-Limite.
Dernière modification 06.07.2020
