Un homme qui tombe : Paul Morand

Star littéraire de l’entre-deux-guerres, l’écrivain français Paul Morand connut quelques déboires dans sa carrière à partir de 1944…

De Fabien Dubosson

Paul Morand faisant du ski à Crans-sur-Sierre (années 1950 ; © Charles Dubost) et une page du manuscrit du Flagellant de Séville (1951).
Paul Morand faisant du ski à Crans-sur-Sierre (années 1950 ; © Charles Dubost) et une page du manuscrit du Flagellant de Séville (1951).

Un hiver bien enneigé, vers la fin des années 1950. Paul Morand fait du ski avec une amie suisse à Crans-sur-Sierre. On se prend en photo : sur le remonte-pente, faisant du slalom ou chutant avec délice dans la poudreuse. Depuis une dizaine d’années, il vit avec sa femme Hélène sur les bords du Léman, à un saut de puce des pistes de ski. À Vevey, pour être précis, où il a loué une vaste demeure néo-gothique, le Château de l’Aile.

L’écrivain a alors plus de soixante ans et s’adonne toujours aux joies de la glisse. Depuis sa jeunesse, il possède un goût prononcé pour le sport, la vitesse, les voyages. Il a été l’un des premiers, durant les « années folles », à faire « jazzer la langue » (L.-F. Céline) dans des recueils de nouvelles comme Tendres stocks et Ouvert la nuit. Le bronzage et les activités de plein air devenaient sexy : il fallait que la littérature se défasse, elle aussi, de ses habits étriqués. Son goût de la vitesse ne se limitait pas d’ailleurs à son style rapide et coupant : cet « homme pressé » menait aussi une carrière fulgurante de diplomate et d’auteur à succès, fêté du Tout-Paris.

Et pourtant, dans les années cinquante, Morand est un homme qui a connu la chute. Non pas celle, amusée, du skieur amateur, telle qu’elle s’imprime sur la pellicule photographique, mais la chute vertigineuse d’un « heureux du monde » devenu proscrit. Il avait lui-même préparé politiquement son discrédit, en se montrant un soutien indéfectible du régime de Vichy : conseiller de Pierre Laval en 1942, ambassadeur de l’Etat français à Bucarest, puis à Berne, de juillet à septembre 1944. Après sa démission, Morand décide de rester en Suisse et de se faire discret : en France, on l’a inscrit, pour un temps, sur les listes noires des écrivains collaborateurs. Il s’installe d’abord à Montreux, puis en 1948 à Vevey, où il s’établit pour près de trente ans, alternant séjours à Paris et retours en Suisse.

Son pays d’adoption ne sera pas pour lui un refuge stérile, c’est du moins ce qu’il affirme en 1968 : « Je viens de passer en Suisse plus du tiers d’une longue vie, mes meilleures et mes plus utiles années. » Il s’y remet à l’écriture : un récit ambitieux, Le Flagellant de Séville (dont le manuscrit est déposé aux ALS), paraît en 1951 – mais ne connaît pas le succès escompté, la critique lui opposant un mutisme presque complet. Il s’agit d’un roman historique qui a pour cadre l’Espagne de l’époque napoléonienne. Si Morand y retrouve son style flamboyant, il y projette sa propre condition en une allégorie ambiguë, laquelle est aussi un refus de reconnaître ses propres errements idéologiques : résistants à l’invasion des troupes françaises et soutiens espagnols à Napoléon – qui représentent, en miroir inversé, les protagonistes de l’Occupation – sont renvoyés dos à dos.

Le retour en grâce auprès des lecteurs n’a lieu que quelques années plus tard. Ce sont de jeunes écrivains, les « Hussards », qui y contribuent. Ils préfèrent à la littérature engagée de l’après-guerre le dandysme des « années folles », dont Morand est pour eux le symbole. Roger Nimier est l’admirateur le plus assidu : il vient rendre visite à Morand en Suisse, entretient avec lui une correspondance complice. C’est grâce au zèle de ces jeunes gens que l’ancien proscrit revient sur le devant de la scène. Il parvient même, en 1968, à se faire élire à l’Académie française. La défense du style pur avait gagné – en attendant les polémiques post-mortem soulevées par la publication de son sulfureux Journal inutile

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